An Kreyòl: Ayisyen nan Kanada: Atansyon!
Le 7 février 2020, devait être une belle journée de célébration où les Haïtien.nes de partout sur la planète fêtent prospérité et paix, grâce aux germes de la démocratie semées depuis le 7 février 1986 dans notre pays. C’est donc le moment de s’interroger à savoir pourquoi aujourd’hui, malheureusement, ni en Haïti, ni dans les autres pays, les Haïtien.nes n’ont pas du tout l’esprit à la fête, mis à part quelques insouciants.
Bien que plusieurs d’entre nous aient depuis longtemps ressenti le besoin de lancer ce cri d’alarme, il y eut un événement récent à Montréal qui nous a convaincu de l’urgence de dire attention à nos frères et sœurs vivant au Canada. Il est grand temps de nous atteler à nos devoirs, et cela presse!
Dans un communiqué de presse, le premier ministre Justin Trudeau a annoncé une réunion, vendredi 31 janvier 2020 à la Maison d’Haïti avec les gens d’affaires et leaders communautaires, identifiée comme une rencontre avec la communauté noire dans les photos relatives publiés sur la page Facebook du PM le même jour. Sur quelle base ont été choisis des «leaders» triés sur le volet pour discuter “communauté” avec le premier ministre Trudeau et sur quelles bases les sujets de discussion ont-ils été identifiés? Alors qu’Haïti traverse une période catastrophique sans précédent qui a un lien direct avec l’invasion impérialiste surnommée Initiative d’Ottawa sur Haïti, pourquoi les organisateurs ont-ils esquivé ce sujet à la réunion tenue à Maison d’Haïti?
Ceux qui vivaient à Montréal ou à Ottawa au début des années 2000 se souviennent peut-être d’une série de rencontres entre décideurs canadiens et “leaders” de la communauté haïtienne, où de nombreuses promesses avaient été faites selon lesquelles des ressources seraient désormais mobilisées pour améliorer la qualité de vie dans nos communautés. De plus, il bruitait que le Canada, la province de Québec, même la Ville de Montréal, auraient l’intention de participer à toutes sortes d’initiatives visant l’amélioration des conditions de vie de nos frères et sœurs en Haïti. Si vous n’étiez pas au courant de ces rencontres, soit parce que vous n’étiez pas encore né ou alors que vous étiez trop jeune, ou soit parce que vous ne faites pas partie du petit groupe de “leaders choisis sur le volet” pour ces rencontres en catimini, nous vous invitons à consulter les archives de la Chambre des communes ainsi que ceux des organismes communautaires.
Rappelons-nous, le temps passe, mais toutes les actions que nous entreprenons laissent derrière elles des traces qui demeurent indélébiles, longtemps après que les grands manitous vous auraient envoyé aux oubliettes ou en galère. Luck Mervil est un exemple, parmi les Haïtiens qui prirent part activement aux efforts néfastes de l’ACDI, source de financement des ONG déstabilisatrices d’Ayiti au début des années 2000. « À la veille du coup d’État, le porte-parole honoraire du CECI a pris la tête d’une manifestation à Montréal appelant au renversement d’Aristide. Ce groupe a également approuvé publiquement l’occupation des Nations Unies. »
Dans le récent film Haiti Betrayed (Haïti trahie), la réalisatrice Elaine Brière nous rappelle comment les impérialistes ont recruté un professeur d’université haïtien de Montréal, Paul Arcelin, en tant que mercenaire (Konze). Ce dernier prit part dans le coup d’État raciste qui a saboté l’indépendance de notre pays, a provoqué des milliers de cadavres, et nous a conduit à ce carrefour catastrophique dans lequel nous nous trouvons, sous le régime néo-duvaliériste dirigé par le Core Group et PHTK.
Nous vous disons donc, cher.e.s compatriotes: Faites gaffe! Nos ancêtres ne nous pardonneront pas, notre descendance non plus, si jamais, dans cette génération, nous répétons les mêmes erreurs qui se sont produites au début des années 2000.
La réalité que nos communautés vivent est très grave. Alors que les Noir.e.s ne représentent que 3% de la population du Canada, nous représentons près de 10% de la population des prisons fédérales. C’est bien nous autres, Afro-Canadien.ne.s, et les peuples des Premières Nations, qui vivons cette terrible situation. Et, parmi les Afro-Canadien.ne.s, nous, Haitien.ne.s du Québec sommes parmi les plus appauvri.e.s et vulnérables. Que ce soit par la mesure du nombre de jeunes femmes et hommes (diplômé.e.s ou non) qui ne trouvent pas de travail à hauteur de leurs compétences, que ce soit comment la Protection de la jeunesse (DPJ) ou la Société de l’aide à l’enfance séparent nos enfants de leurs parents, ou encore par le nombre des nôtres qui croupissent en prison.
Nous convenons donc qu’il est urgent et nécessaire que le gouvernement canadien, le gouvernement du Québec et toutes les municipalités concernées entrent en pourparlers avec nos communautés afin de développer conjointement des programmes efficaces qui résoudront à sa base les graves et multiples maux qui nous accablent, soit la pauvreté liée aux injustices sociales telles que le racisme systémique qui continue de sévir dans la société canadienne. Cependant, ces discussions ne devraient point servir d’espace de marchandage.
En fait, nous nous devons de porter un message clair. En plein 2020, nous, Haïtien.ne.s et Haïtiano-Canadien.ne.s n’avons pas à liquider notre dignité, ni aucune parcelle du territoire légué par Dessalines, par tous nos ancêtres, pour quelle que soit la raison ou quel que soit le retour. Nous n’avons pas à quémander nos droits naturels dans la société canadienne. Soyons aussi clairs sur cette dernière question: l’or d’Ayiti ainsi que ses autres ressources minières, le droit du peuple haïtien de choisir ses propres dirigeants ne devraient jamais se trouver sur une quelconque table de négociation montée à Montréal, Ottawa ou tout autre endroit secret à l’étranger.
Comme nous l’avons exprimé dans la déclaration de solidarité avec le peuple haïtien publiée l’an dernier: « À l’instar des Pères et Mères de notre nation qui ont donné l’exemple, il y a deux siècles, nous Haïtien.nes vivant à l’étranger, nous soutenons toutes les luttes anti-impérialistes que mènent nos frères et sœurs actuellement, en Ayiti comme à l’étranger ».
C’est bien avec raison et conviction, que dans la Dessalinienne, nous avons appris à entonner en Kreyòl: « Se pa kado blan te fè nou, se san zansèt nou yo ki te koule! »
Respect!
Vos compatriotes,
Jude Descadres
Yves Engler
Tilarenn Solèy (Turenne Joseph)
Jafrikayiti Jean Elissaint Saint-Vil
Justice! Dignité! Réparations!
Voyez aussi: Consultation communautaire pour Haiti, mars 2005, Ottawa