Gatineau, 11 mars 2003
Hon. Jean Chrétien
Premier Ministre du Canada
Bureau du Premier Ministre
80 rue Wellington
Ottawa, Ontario, Canada, K1A 0A2
Monsieur le Premier Ministre,
Nous venons d’apprendre avec consternation dans l’édition du 15 mars 2003 [publiée effectivement dès février] de la revue l’Actualité que le Canada travaillerait activement au renversement du gouvernement constitutionnel de la République d’Haiti.
«Il faut renverser Aristide. Et ce n’est pas l’opposition haïtienne qui le réclame, mais des parlementaires de plusieurs pays réunis à l ’initiative du Canada!», telle est la ligne d’introduction des scandaleuses révélations que nous offre le journaliste Michel Vastel dans son article intitulé : Haïti mise en tutelle par l’O.N.U?
Notre stupéfaction a été très grande d’autant plus qu’une telle démarche ne fait pas partie de la tradition canadienne en ce qui a trait à nos rapports avec d’autres pays souverains. Nous continuons à croire que la soi-disant « Initiative d’Ottawa sur Haïti » ne reflète pas nos valeurs, et par conséquent, n’engage pas le Canada, mais plutôt ceux-la qui ont initié cette démarche.
Monsieur le Premier Ministre, cet article est apparu précisément au moment où vous, en visite au Mexique, présentiez au monde entier la vision canadienne des rapports qui doivent exister entre états. À ce moment là, vous vous étonniez qu’en plus du désarmement de l’Irak, les États-Unis exigeraient, à l’encontre de toutes les règles internationales, un changement de régime dans ce pays.
Monsieur le Premier Ministre, jusqu’au moment où nous rédigeons la présente, il n’y a aucune guerre civile en Haiti. Au contraire, à notre connaissance, l’Etat haïtien a fait appel à la communauté internationale pour l’aider à sortir de l’impasse politique née des joutes électorales contestées par l’opposition, et non pour établir une humiliante occupation du pays par des étrangers à la veille de 2004 qui ramène l’anniversaire des 200 ans d’indépendance d’Haiti. Il faut bien se rappeler que le bicentenaire que s’apprête à fêter le peuple haïtien est aussi celui de la victoire de la plus glorieuse révolution anti-esclavagiste que le monde moderne ait connue. Celle des Noirs qui seuls, en 1803, ont combattu et vaincu la redoutable armée esclavagiste de Napoléon Bonaparte. Comprenez donc que cet appel à l’occupation de la République Noire la plus appauvrie de l’hémisphère soit jugé suspect par plus d’un.
Signalons que seulement dans les pays dirigés par les Noirs les élections contestées, inévitablement et paradoxalement avec l’intervention de la dite « communauté internationale », paralysent le fonctionnement normal de l’état. C’est dans de tels pays aussi que l’opposition se trouve activement encouragée à se dégager de toutes responsabilités patriotiques ou de critiques éclairées. Opposition qui, d’ailleurs, est souvent alimentée par des sources extérieures, tel est le cas présentement en Haiti où l’Institut Républicain International (IRI) soutient ouvertement la Convergence Démocratique (coalition de plusieurs partis d’opposition).
Monsieur le Premier Ministre, vous qui venez d’évoquer votre désir de combler en paix les 11 mois restants de votre mandat, devriez bien comprendre le contexte difficile dans lequel le peuple haïtien lutte pour sauvegarder le mandat de son chef d’état démocratiquement élu; lutte devenue de plus en plus ardue depuis l’arrivée au pouvoir de votre voisin Georges W. Bush.
Le peuple haïtien avait accueilli avec espoir l’arrivée du Canada au sein de l’OEA. L ’attitude du gouvernement Mulroney, face au coup d’état militaire de septembre 1991 en Haïti, avait concrétisé son attente. Depuis, le vent semble avoir tourné. Un gouvernement Libéral canadien oeuvrerait-il aujourd’hui au retour des régimes militaires dictatoriaux en Haiti? À peine soulagé de son plus grand bourreau, l’armée répressive, servile aux agences secrètes américaines qui la contrôlent depuis 1934, le peuple haïtien apprend, par l’article de M. Vastel, que ses « amis » canadiens dirigent une initiative qui veut lui livrer « la mise en place d ’une police ET d’une ARMÉE”. Depuis quand, le peuple haïtien a-t-il sollicité un tel cadeau?
Monsieur le Premier Ministre, à la veille de la célébration du 200 ème anniversaire de son indépendance, ce peuple appauvri, dépourvu de ses ressources matérielles, était en droit d’attendre des puissances du monde post-colonial une action réparatrice des méfaits de l’ esclavage, de la colonisation et de l’occupation militaire. Nous vous suggérons donc de proposer aux Nations unies un projet plus noble, plus humain qui respectera le choix démocratique ainsi que la dignité du peuple haïtien et, du même coup, fera honneur au peuple canadien.
Un tel projet :
1. Convaincra les femmes et les hommes politiques qui influent sur les réalités haïtiennes de privilégier le seul chemin des élections pour atteindre le pouvoir politique.
2. Obligera les pays enrichis à ne plus garder en sécurité et en toute impunité dans leurs murs, les chefs d’État déchus qui viennent jouir paisiblement chez eux, donc avec eux, des fonds détournés à leur profit, pendant que les peuples qu’ils ont pillés croupissent dans la misère.
3. Obligera l’État français à restituer à la République d’Haiti les 60 millions de francs en or qu’elle lui rançonna de 1825 à 1922. Cet extraordinaire acte de piraterie internationale, conduite officiellement à la vue du monde entier, est en forte partie responsable de la misère la plus abjecte dans laquelle croupit la majorité des Haïtiens, depuis le début du 19 ème siècle.
4. Amènera la Banque interaméricaine de développement ainsi que les autres bailleurs de fonds internationaux à verser à l’État haïtien le montant des prêts atteignant 500 millions de dollars sur lesquels, ce pays appauvri paie des intérêts, alors que les prêts en question n’ont pas été décaissés.
Espérant que vous accorderez à la présente toute l’attention que mérite le sujet, nous vous prions, d’agréer, Monsieur le Premier Ministre, l’expression de nos salutations les plus sincères,
Pour l’Association canado haïtienne pour la sauvegarde de la souveraineté d’Haïti (l’ACHaSauSHa):
Raymond Narcisse, Médecin
Michel-Ange Hyppolite, Enseignant
Marlène C. Hyppolite, Enseignante
Michel-Ange Hyppolite, Ingénieur
Jean Saint-Vil, Gestionaire
c .c. Son Excellence Monsieur Jean-Bertrand Aristide, Président de la République d’Haïti
Hon. Bill Graham, Parti Libéral
Hon. Denis Paradis, Parti Libéral
Hon. Paul Martin, Parti Libéral
Hon. Shei la Copps, Parti Libéral
Hon. Jean Augustine, Parti Libéral
Hon. Gilles Duceppe, Bloc Québécois
Hon. Alexa Mcdonough, NPD
M. Jack Layton, NPD
M. Svend Robinson, NPD
M. Stephen Lewis